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santé mentale

Après un internat en santé publique, Stéphanie Vandentorren se spécialise dans l’épidémiologie infectieuse puis environnementale, avant d’élargir son champ d’expertise aux inégalités sociales de santé. « C’est une problématique transversale qui traverse toute la société et concerne autant les maladies infectieuses, environnementales, les pathologies chroniques et la santé mentale et qui se développe dès le plus jeune âge », précise-t-elle. 

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Elle participe très tôt à des études de cohorte d’envergure, comme le projet ELFE – la première étude nationale dédiée au suivi des enfants. « J’ai travaillé pendant cinq ans au sein d’une équipe de l’Ined à construire cette vaste cohorte qui visait à analyser le développement de l’enfant sous tous ses aspects. »

Ce travail l’amène à collaborer avec des chercheurs en sociologie, démographie, épidémiologie et toxicologie, tout en prenant conscience de l’importance des conditions de vie sur la santé, notamment à travers la notion d’exposome. 

Le poids des facteurs sociaux dans le développement de l’enfant l’interroge et la conduit à approfondir son regard sur les vulnérabilités sociales, en rejoignant l’Observatoire du Samu social de Paris. C’est là qu’elle se confronte aux répercussions psychologiques des parcours d’exil et d’exclusion. « Les femmes migrantes cumulent plusieurs facteurs de fragilisation : traumatismes dans le pays d’origine, violences sur le parcours migratoire et conditions de vie précaires dans le pays d’accueil. » Cette expérience dessine peu à peu un axe central de ses recherches : comprendre comment la précarité et les conditions de vie façonnent le risque de stress post-traumatique.

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Stéphanie Vandentorren intervenant à l’INRICH Workshop en 2023 sur les inégalités sociales en santé chez les enfants.

Les recherches de l’épidémiologiste prennent une dimension nouvelle lorsqu’elle est confrontée aux effets psychologiques des crises sanitaires et des attentats terroristes. En tant que responsable de cellule régionale de Santé Publique France, Stéphanie Vandentorren participe à l’évaluation des impacts sanitaires lors de crises majeures telles que la canicule de 2003, les épidémies émergentes comme Ebola, la pandémie de COVID-19, ainsi que les attentats de 2015 en Île-de-France.

Lors de la canicule en 2003, elle souligne l’importance de l’environnement et du soutien social comme facteurs protecteurs de la santé et de la mortalité. Plus récemment, lors de la crise COVID-19, ses travaux mettent en évidence le poids des conditions de vie sur le risque d’être infecté, de développer une forme grave et d’en mourir; ainsi que l’importance de l’impact sur la santé mentale, notamment des enfants et des adolescents. 

C’est lors des attentats de janvier 2015 qu’elle se focalise plus spécifiquement sur le psychotrauma, notamment dans le cadre de l’étude I.M.P.A.C.T.S, qu’elle a pilotée en Île-de-France. Son objectif ? Évaluer l’impact psychologique et social des attentats auprès des personnes directement ou indirectement exposées, analyser leurs parcours de soins afin d’ identifier les facteurs favorisant ou freinant le recours à un soutien psychologique. L’étude a permis d’identifier les trajectoires psychologiques des victimes, des témoins et des intervenants, et ainsi de mettre en évidence la multiplicité des réactions au traumatisme.

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Vue de la zone du 11e arrondissement (rue Nicolas Appert) interdite aux badauds par la police après la fusillade au siège de Charlie Hebdo, prise avec l’aide du journaliste de LCP Jérémie Hartmann.

Elle observe également la présence de symptômes immédiats chez certaines personnes tandis que d’autres les développent plus tardivement, et que cela impacte leur vie familiale, sociale  et professionnelle. Ce constat souligne l’importance d’élargir la prise en charge auprès des différentes populations et de la poursuivre dans le temps. Elle insiste aussi sur le besoin de formation des professionnels de santé : « Beaucoup passent à côté des manifestations psychosomatiques du trauma, notamment parce qu’ils ne sont pas toujours formés à identifier ces symptômes et à interroger les patients de manière appropriée. » 

Stéphanie Vandentorren insiste sur la nécessité d’intégrer les sciences humaines et sociales dans l’étude du psychotrauma. « L’épidémiologie fournit des données essentielles, mais c’est en la mettant en dialogue avec la sociologie, l’anthropologie et la psychologie que l’on peut mieux appréhender la manière dont les individus traversent et surmontent un traumatisme. »

Pour la chercheuse en épidémiologie, la santé mentale ne peut pas être isolée de l’environnement et des conditions de vie. « Il faut s’attaquer aux causes des causes : l’environnement, le travail, le logement, la précarité, la mobilité et le rythme de vie, l’accès aux services de santé, à la culture et aux loisirs, les interactions et le soutien social, parental; mais aussi en amont aux politiques socio économiques et aux valeurs de la société (inclusion ou discrimination,  stigmatisation)» Son approche est résolument pluridisciplinaire et systémique et elle s’inspire des modèles de santé globale. L’épidémiologiste plaide pour un renforcement de la prévention dès le plus jeune âge.

Enfin, elle défend une approche plus participative de la santé et du soin, qui inclut les personnes concernées dans la conception même des dispositifs. « On ne peut pas penser la prise en charge du trauma sans intégrer ceux qui en font l’expérience. »

Son conseil aux jeunes chercheurs ? « Osez sortir des sentiers battus. Le psychotrauma, comme la santé publique, est un vaste champ qui gagne à croiser et à renouveler les regards. »


  • Vandentorren, S., Huber, F. et Queneau, C. (2024) . L’impact des conditions de vie dans le pays d’accueil sur la santé mentale des personnes immigrées. Rhizome, N° 90-91(2), 9-10. https://shs.cairn.info/revue-rhizome-2024-2-page-9?lang=fr
  • Vandentorren, S. (2024). Déterminants sociaux et accès aux services de santé. La Revue de l’Infirmière, 73(303), 16‑18. https://doi.org/10.1016/j.revinf.2024.07.003
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