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Hingray blouse - Cn2r

Au début de son internat, Coraline Hingray hésite entre neurologie et psychiatrie. « Ce qui me fascine, c’est le cerveau humain », explique-t-elle. Mais peu à peu, la psychiatrie s’impose, portée par la richesse des échanges cliniques et par l’étendue des questionnements de recherche qu’elle ouvre. 

Coraline Hingray, photographiée par Guillaume Chauvin pour Le Monde

L’un d’entre eux, en particulier, bouleverse ses certitudes. Une patiente lui décrit ses crises, autrefois qualifiées de « crises hystériques à la Charcot », tout en évoquant les violences sexuelles subies dans son enfance. Son récit est précis, factuel, mais dénué d’affect. « Ce n’était pas si terrible, parce que je n’étais pas là, j’étais à côté d’une rivière, je sentais le soleil sur ma peau et j’entendais les oiseaux », confie-t-elle. Cette incroyable capacité de détachement de l’horreur interpelle alors la jeune psychiatre.

Dessin d’une patiente souffrant d’un TDI, photo transmise par Coraline Hingray

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Cette première confrontation avec la dissociation marque le début d’une réflexion plus large. Comment un phénomène qui protège peut-il aussi devenir une source de souffrance ? Cette question, soulevée par la rencontre clinique, la conduit à s’intéresser aux manifestations dissociatives dans le champ des troubles psychotraumatiques.

Parmi les troubles dissociatifs, le Trouble Dissociatif de l’Identité (TDI) reste encore peu diagnostiqué. Pour Coraline Hingray, cette situation s’explique par une méconnaissance du trouble et par des représentations erronées.

Le TDI est souvent confondu avec d’autres pathologies psychiatriques ou interprété par le prisme de diagnostics plus courants. « Si moi, qui étais déjà sensibilisée à la dissociation, je suis passée à côté, combien d’autres le font encore aujourd’hui ? »

Le 6 mars 2024, à l’occasion du webinaire du Cn2r « Le trouble dissociatif de l’identité : Une réalité post-traumatique mal connue ? », Coraline Hingray apportera un éclairage sur ce trouble, pour en préciser les éléments diagnostiques, clarifier ses manifestations et proposer des pistes de prises en charge adaptées. 

Design sans titre - Cn2r

Fin 2024, Coraline Hingray fonde la Maison de la Résilience.

« Les violences sexuelles restent invisibilisées, malgré leur fréquence alarmante. On compte une victime, enfant ou adulte, toutes les trois minutes. Il était urgent de chercher d’autres modèles de soins et de financements pour proposer des soins à un plus large public ». 

Salle d’attente de la Maison de la Résilience, photo transmise par Coraline Hingray

Inspirée par des modèles étrangers comme Psytrec aux Pays-Bas, la Maison de la Résilience offre une prise en charge intensive et intégrative. Le centre est également un lieu d’expertise pour les troubles dissociatifs complexes dont le diagnostic est souvent difficile. Coraline Hingray conçoit une institution qui n’existe jusqu’alors pas, mêlant hospitalisation de jour, thérapies en groupe et accompagnement spécialisé. « C’est un espace où l’on reconnaît les souffrances liées aux violences sexuelles et où l’on offre de l’espoir pour se libérer. » 

Si des avancées ont été faites ces dernières années, la psychiatrie française peine encore à structurer la prise en charge du psychotrauma. Coraline Hingray salue certaines initiatives, comme les hôpitaux de jour intensifs de Lille et Caen, mais pointe un manque de formation des cliniciens et une sous-identification des antécédents traumatiques. « Trop de patients arrivent en psychiatrie sans que leur histoire traumatique soit prise en compte. Cela empêche une prise en charge adaptée. »

Mais l’enjeu ne se limite pas aux soins. Les réactions de l’entourage, des institutions et du système judiciaire jouent un rôle déterminant dans la trajectoire des victimes. Coraline Hingray évoque ainsi le « sur-trauma » pour désigner ces blessures secondaires, celles qui ne viennent pas du traumatisme lui-même, mais de l’incompréhension, du doute, ou de l’absence de protection.

Le sur-trauma ajoute une couche supplémentaire de détresse, rendant le travail de reconstruction d’autant plus complexe. « Plus que de la malveillance, c’est souvent la méconnaissance qui empêche un accompagnement adapté. » Sensibiliser à ces réalités est, pour elle, une étape nécessaire pour améliorer la prise en charge du psychotrauma.

Parmi ses projets : un outil diagnostique des troubles dissociatifs basé sur l’intelligence artificielle. « L’idée est de proposer un outil complémentaire, qui permettrait d’affiner le diagnostic et le repérage des troubles dissociatifs. »

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Elle poursuit également son engagement dans la lutte pour une meilleure reconnaissance des violences sexuelles, notamment à travers son rôle de vice-présidente de l’association Donner des elles à la santé, qui milite pour une meilleure égalité femmes-hommes dans le secteur médical et une prise en charge plus structurée des violences sexuelles en milieu hospitalier. « Il ne suffit pas de dire que ces questions sont importantes, il faut aussi s’assurer qu’elles soient prises en compte dans les faits. »

Coraline Hingray intervient pour l’association Donner des elles à la santé, photo transmise par Coraline Hingray

Si elle devait revenir en arrière, Coraline Hingray se donnerait ce conseil : « N’aie pas peur de remettre en question tes croyances. Ce que tu sais à un instant T n’est jamais une vérité absolue. Écoute toujours tes patients, ils sont les meilleurs enseignants et seront toujours la source de tes projets. »