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Le trouble de deuil prolongé

→ De nombreuses approches théoriques conceptualisent le deuil et son processus de rétablissement.

→ La culture façonne profondément l’expérience du deuil, en influençant les réactions émotionnelles, cognitives et comportementales à la perte.

→ L’introduction du trouble de deuil prolongé dans les grandes classifications alimente les débats sur la médicalisation du deuil.

→ De nombreuses études soutiennent l’existence du trouble de deuil prolongé comme entité clinique psychiatrique distinct des autres et pour laquelle un traitement spécifique est efficace.

→ Plusieurs outils permettent de dépister le trouble de deuil prolongé mais il existe un manque d’outils validé en langue française et adapté aux enfants.

Avant-propos

La pandémie récente de COVID-19 a profondément bouleversé nos sociétés, entraînant une augmentation significative des taux de mortalité à travers le monde. D’après les données fournies par Santé publique France, entre mai 2020 et juin 2023, le nombre de décès à l’échelle mondiale s’élève à environ 7 millions, avec une proportion alarmante de deux tiers de ces pertes en Europe.

Ce contexte pandémique exceptionnel a mis à rude épreuve les pratiques cliniques et le soutien social traditionnellement apporté aux personnes en fin de vie et à celles en deuil, faisant craindre une hausse de la prévalence du deuil compliqué, désormais identifié sous le terme de « trouble de deuil prolongé1 ».

Face à ces circonstances inédites, il est apparu primordial que les professionnels de santé soient mieux informés des réactions au deuil et puissent distinguer les manifestations pathologiques potentielles2.

Dans ce contexte, et en concordance avec l’évolution des normes internationales telles que la CIM11 qui avait déjà intégré le « trouble de deuil prolongé » dans sa classification de 2018, l’Association Américaine de Psychiatrie (APA) a publié en mars 2022 de nouveaux critères diagnostiques pour ce trouble, marquant son introduction dans la version révisée du DSM-5.

Cette évolution offre l’opportunité de s’intéresser à cette entité nosographique récente mais également d’élargir le sujet aux contributions théoriques et considérations interculturelles qui reposent derrière notre compréhension du deuil.

Qu’est-ce que le deuil ?

Dossier scientifique deuil prolongé

Initialement, le terme « deuil » provient du latin populaire « dolus », lui-même dérivé du latin classique « dolor » signifiant « douleur ». Dans la langue française, un seul mot est employé pour désigner les différentes facettes du deuil. Le terme est employé pour désigner la douleur que l’on éprouve suite à la mort de quelqu’un, la mort d’un proche ou encore pour faire référence aux signes extérieurs (de deuil) « consacrés par l’usage » (Le Robert, s.d.).

En anglais, le lexique est plus riche puisque plusieurs termes permettent de nuancer différents aspects du deuil. Ainsi, le terme « bereavement » se rapporte à la perte d’une figure d’attachement, celui de « grief » est employé pour évoquer les réactions émotionnelles, cognitives et comportementales telles que le chagrin, la peine, la tristesse, etc., et « mourning » se réfère quant à lui, aux manifestations comportementales conscientes, souvent influencées par la culture, et donc associées aux aspects plus sociaux ou extérieurs de la perte. Ainsi, après le décès d’un proche (bereavement), survient fréquemment et non systématiquement, une réponse émotionnelle, cognitive et comportementale (grief) et grâce au travail de deuil (mourning), il est parfois possible d’atténuer cette réponse.

Néanmoins, pour certaines personnes, ce travail de deuil est impossible et reste bloqué aux réactions de deuil intense. À cet égard, divers termes sont couramment employés sans distinction pour décrire cette condition spécifique : deuil compliqué, deuil persistant complexe, ou plus récemment, trouble de deuil prolongé. En vue d’approfondir notre compréhension du deuil, qu’il soit « normal » ou « pathologique », de nombreuses contributions ont alors vu le jour, et continuent d’émerger depuis plus d’un siècle maintenant.

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Quelles sont les contributions majeures à sa compréhension ?

Bien que de nombreux travaux sur le deuil ne soient pas unanimes sur ce qu’ils considèrent comme dysfonctionnel dans le processus de deuil, il est important de préciser que tous ne font pas forcément référence aux mêmes aspects du deuil (Bereavement, mourning, grief). Par conséquent, toutes les contributions ne s’opposent pas systématiquement mais peuvent venir s’enrichir mutuellement. Veuillez noter que la présentation, qui va suivre n’a pas valeur d’exhaustivité mais vise à donner un aperçu de la diversité des travaux théoriques et empiriques qui se sont succédé dans le domaine au cours de ces dernières décennies.

Approches linéaires

Sigmund Freud

Le travail de deuil selon Sigmund Freud (1917) est décrit comme une étape normale et adaptative permettant à la libido de se détacher progressivement de l’objet aimé pour se réinvestir dans de nouveaux objets, conduisant ainsi à la résolution du deuil. En revanche, la mélancolie était considérée par l’auteur, comme une réaction pathologique et destructrice à la perte, se traduisant par une déstabilisation de la libido et une incapacité à identifier clairement la perte subie. Ainsi, dans cette approche, le chagrin ressenti lors du deuil est ici considéré comme une réponse normale, tandis que la mélancolie, en raison de sa nature pathologique et de ses symptômes dépressifs, était considérée comme une réponse anormale à un événement similaire.

Elisabeth Kübler-Ross

Le modèle en cinq étapes de Elisabeth Kübler-Ross (1969) a été développé à l’origine pour décrire les étapes que traversent les patients atteints de maladies en phase terminale jusqu’à l’acceptation de leur propre mort et a ensuite été étendu aux proches du patient qui peuvent traverser une expérience similaire. Cinq phases sont alors proposées : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Ces étapes ne sont pas décrites comme linéaires, l’individu pouvant naviguer entre elles, les revivre ou les éprouver simultanément. Malgré l’impact et l’adoption généralisée de ce modèle, il a été critiqué pour ses bases théoriques peu solides et sa vision trop linéaire, laissant entendre qu’il y aurait une méthode idéale pour vivre le deuil.

Approches basées sur l’attachement et le lien

Dennis Klass

L’approche du lien continu de Klass, Silverman et Nickman. (1996) se démarque de certaines considérations passées qui considèrent que la fonction du deuil et du chagrin est de rompre les liens avec le défunt afin de pouvoir réinvestir les relations dans le présent. L’approche de Klass et ses collaborateurs considère que le deuil n’implique pas nécessairement de lâcher prise ou de passer à autre chose pour qu’une résolution saine du deuil puisse être envisagée. Au contraire, il s’agirait de maintenir un « lien continu » avec le défunt. Cette perspective met l’accent sur la façon dont les relations avec les personnes décédées peuvent continuer à évoluer et à avoir un sens après leur mort.

John Bowlby

La théorie de l’attachement de John Bowlby (1980) décrit 4 étape dans le processus de deuil. D’abord, l’endeuillé traverse un état d’engourdissement, d’incrédulité ou de choc. Il évolue ensuite vers une phase marquée par le désir ou la recherche du défunt, souvent accompagnée de colère et de protestation. Dans la troisième étape, la recherche du défunt cesse, le processus de deuil cède la place au désespoir et à la désorganisation et laisse place à des sentiments de dépression et de désolation. La quatrième et dernière phase est celle de la réorganisation qui se dessine lorsque la perte est acceptée et que la personne endeuillée revient progressivement à ses anciens intérêts. L’incapacité à parvenir à cette réorganisation serait révélatrice d’une fixation persistante sur la figure d’attachement perdue, empêchant l’endeuillé de passer à autre chose.

Approches spécifiques et innovantes

Erich Lindemann

La contribution pionnière de Erich Lindemann (1944) est celle d’une description des symptômes et des réponses émotionnelles observées chez les personnes endeuillées Grâce à ses observations cliniques, Lindemann a élaboré une théorie du deuil en cinq phases. Plusieurs réactions typiques sont alors identifiées en réaction à la perte : une perturbation somatique (perte d’appétit, un épuisement et un manque de motivation, etc.,), une préoccupation par le souvenir du défunt, une culpabilité envahissante, des sentiments hostiles ou de colère et une difficulté à effectuer les routines quotidiennes. D’après l’auteur, pour que ces réactions parfois trop sévères, diminuent, un travail de deuil est nécessaire, lequel doit impliquer un détachement vis-à-vis du défunt, l’adaptation à un environnement dépourvu du défunt ainsi que la formation de nouvelles relations.

La théorie des réseaux de symptômes appliquée à la psychopathologie après le décès d’un proche (2021) conceptualise les troubles mentaux comme découlant d’interactions « auto-renforçantes » entre les symptômes d’une pathologie9. Cette théorie, bien qu’encore en développement, offre une approche alternative pour comprendre le deuil et plus particulièrement le deuil prolongé10. Elle suggère que les pensées, les émotions et les comportements qui se manifestent pendant le deuil sont interconnectés dans un réseau de réactions qui peuvent s’auto-renforcer, entraînant une persistance du deuil chez certaines personnes. Cette théorie souligne que les perturbations biologiques et sociales induites par un deuil prolongé peuvent, à leur tour, influencer et interagir avec le processus de deuil.

Approches dynamiques

Georges Bonanno

La perspective de la résilience de George A. Bonanno (2002) met en avant le rôle central de la résilience dans le processus de deuil et les réactions face au traumatisme. Dans un livre intitulé « The Other Side of Sadness : What the New Science of Bereavement Tells Us About Life After a Loss », Bonnano conteste l’idée des étapes du deuil et, par conséquent, remet en question de nombreux principes qui sous-tendent les conceptions traditionnelles du deuil, lesquelles manquent souvent de bases scientifiques. Ses contributions pionnières, dans le domaine, révèlent qu’il existe une hétérogénéité de réponses face à la perte pouvant être regroupées en un nombre de trajectoires relativement restreint (deuil chronique, retardé ou absent, dépression etc.,) et dont l’une des plus courantes serait celle de la résilience.

Le modèle d’ajustement au deuil basé sur un double processus de Margaret Stroebe et Henk Schut (1999) propose une vision dynamique du processus de deuil en intégrant des éléments issus des théories de l’attachement et du stress. Il vise à pallier les insuffisances des approches traditionnelles, critiquées pour leurs manques de preuves empiriques et leur validité culturelle et historique. Depuis sa création, de nombreuses mises à jour et révisions ont été apportées pour affiner son application clinique et accroître sa pertinence en réponse aux avancées récentes dans le domaine du deuil. Initialement conçu pour expliquer le processus de deuil chez les veufs et veuves, le modèle initial de Stroebe et Henk décrit le deuil comme un processus dynamique confrontant l’individu à deux catégories de stresseurs : ceux liés à la perte, tels que les pleurs et les ruminations, et ceux liés à la restauration, comme les responsabilités accrues et l’adoption de nouveaux rôles après la perte d’un conjoint. L’oscillation constante entre des stratégies de confrontation à la perte et de restauration permet à la personne en deuil d’alterner entre l’expression active des émotions et la recherche de sens, et l’évitement, qui peut inclure l’engagement dans des activités nouvelles ou le contournement des souvenirs douloureux. Ainsi, dans cette approche, un équilibre entre confrontation et évitement est jugé nécessaire pour une adaptation saine au deuil.

La culture façonne-t-elle le deuil ?

Pour tenter d’apporter un éclairage à cette question, l’étude interculturelle du deuil s’avère particulièrement à propos. Cette approche transversale, qui regroupe différentes disciplines telles que la psychologie, l’anthropologie et la sociologie, nous apprend que notre vision de la mort et du deuil est influencée par notre culture, donnant lieu à différentes attitudes et réponses de deuil. Ainsi, les chercheurs en sciences sociales révèlent que les réactions émotionnelles et comportementales face à la perte sont influencées et modulées par l’empreinte des normes culturelle.

Zoom

Outre aborder la mort comme un fait biologique, l’anthropologue Louis-Vincent Thomas a appréhende dans ses nombreuses contributions, la mort comme une construction sociale et culturelle.

En comparant, des civilisations africaines avec des sociétés occidentales, l’auteur met en avant les contrastes culturels existant autour de la mort. Dans son ouvrage « Anthropologie de la mort » paru en 1975, le chercheur indique que dans certaines sociétés traditionnelles africaines, la mort est diamétralement plus intégrée au quotidien que dans les sociétés occidentales.

Dans ces sociétés traditionnelles, les rituels funéraires sont des événements sociaux majeurs qui renforcent les liens communautaires.

Il s’agirait là d’une nuance importante avec les sociétés occidentale, puisque cellesci ont semble-t-il, pris leurs distances avec la mort, en la rejetant, en la passant sous silence et en la médicalisant17.

Une critique des modèles traditionnels

En adoptant une approche globale, l’étude interculturelle du deuil s’éloigne des modèles psychologiques qui universalisent le deuil, lesquels le réduisent à une série d’étapes successives, ou le distingue en formes « normales » et « pathologiques ». Au contraire, en plus de mettre en lumière une diversité d’attitudes et de réponses face à la mort, les études dans le domaine ont également révélé que l’entourage familial et les institutions culturelles qui imposent certaines normes, pouvaient moduler le chagrin, en favorisant son expression ou au contraire en le réprimant ou en imposant un silence face à la mort. Ces mêmes travaux de recherche révèlent d’ailleurs que lorsque le processus de deuil d’un individu s’écarte des normes culturellement établies, il est souvent perçu comme déviant ou problématique.

 

Entre rupture et continuité

Certaines cultures voient dans un deuil non pas une rupture mais plutôt une affirmation de la continuité du lien avec les défunts, comme en témoignent des rituels funéraires étendus et des périodes de deuil prolongé. En Occident, l’attente dominante est celle d’une « récupération » rapide et ordonnée. Un deuil qui dure au-delà de cette attente peut être Fort de ce constat, il semble impératif de ne pas isoler les complications d’un deuil de l’environnement culturel.

En tant que chercheur ou clinicien, adopter une perspective soucieuse de la dimension culturelle dans l’évaluation ou étiqueté comme deuil prolongé, une condition qui reflète les tensions entre le besoin de l’individu d’exprimer et de reconnaître sa perte et le besoin collectif de maintenir la cohésion sociale et de respecter les normes sociétales. L’accompagnent des individus en deuil parait donc crucial pour apprécier pleinement la complexité des expériences et réaction face à la mort. Cela permettrait d’éviter de pathologiser des réactions qui, bien qu’en dehors de la norme dans une culture, peuvent être parfaitement normales dans une autre.

 

Certaines réactions de deuil peuvent-elles constituer un trouble ?

Les débats portant sur la reconnaissance de certaines réactions de deuil comme étant pathologique ne date pas d’hier. La classification du deuil prolongé comme trouble de santé mentale ne vient que raviver les débats entre professionnels qui existent depuis plusieurs décennies déjà. De plus, la perte d’un proche étant presque une étape obligée pour ne pas dire quasi systématique, on comprend facilement pourquoi la psychiatrisation du deuil est un sujet éminemment complexe.

Lorsque le chagrin persiste

Le chagrin entrainé par la perte d’un être aimé est souvent très intense immédiatement après le décès de la personne et diminue progressivement avec le temps. Pour certaines personnes, le chagrin persiste et entraine des complications dans leur fonctionnement quotidien. Dans ce cas de figure, l’association américaine de psychiatrie (APA) parle de « trouble de deuil prolongé » (TDP) et le définit comme « un deuil intense et persistant qui cause des problèmes et interfère avec la vie quotidienne ».

Le chemin complexe de la classification du deuil prolongé

Au cœur des révisions de la cinquième version du manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSM-5) et de la onzième édition de la classification internationale des maladies (CIM11), des comités d’experts ont été constitués pour examiner la validité, la spécificité ainsi que les options de traitement possibles du trouble de deuil prolongé. Bien que le groupe de travail chargé de la rédaction pour le DSM-5 avait sérieusement envisagé d’inclure ce trouble dans le manuel, la proposition a finalement été rejetée en 2013.

Le « deuil persistant complexe » a donc été intégré à la section III du DSM-5 (2013), une section réservée aux troubles nécessitant des recherches supplémentaires avant de pouvoir être considéré comme bien établis. Quelques années plus tard, en 2018, l’Organisation mondiale de la santé décide d’introduire le trouble de deuil prolongé dans sa classification internationale des Maladies (CIM11) et l’Association américaine de psychiatrie (APA) finira finalement 4 ans plus tard par intégrer le trouble dans la 5ème version révisée de son manuel statistique des troubles mentaux (DSM-5 TR).

Une médicalisation du chagrin naturelle ?

Pour Marie-Frédérique, Bacqué, professeur de psychopathologie et clinicienne, spécialiste du deuil, cette entité nosologique ne prend pas assez en compte la notion de culture ainsi que l’histoire de vie de l’endeuillé. La simple évaluation de symptômes est pour elle, un appauvrissement délaissant la dimension des causes qui se trouvent pourtant dans la société et dans la culture. Pour Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste, qui s’est largement exprimé sur le sujet, le trouble ne forme pas un ensemble de symptômes apte à constituer une entité pathologique, ni capable de révéler une situation compromettante sur le plan clinique. D’après lui, il n’est autre que « un ensemble de signes, de comportements qui appartiennent à la dépression ordinaire et d’autres au posttraumatique et aux fantasmes, aux idées délirantes ainsi qu’au repli social ».

D’autres professionnels de santé comme le psychiatre Eric Bui ne manquent pas de préciser qu’au moment de son inclusion, le trouble de deuil prolongé est le trouble de santé mentale qui a reposé sur le plus de fondements scientifiques. Il rappelle d’ailleurs que « pour déterminer ce qu’est un trouble, de nombreux critères existent : fondements biologiques, réponse à un traitement, capacité à aider les personnes, être distinct des autres pathologies… », sous-entendant que TDP satisfait à toutes ces exigences.

Des données scientifiques soutiennent-elles son existence ?

Les données

• 7 à 10 % des adultes endeuillés présenteront les symptômes persistants d’un trouble de deuil prolongé.

• 5 à 10 % des adolescents et enfants souffriront de dépression, d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) et/ou d’un trouble de deuil prolongé à la suite du deuil.

• 80 % des personnes souffrant d’un trouble de deuil prolongé souffrent d’un mauvais sommeil à long terme.

• 49 % de trouble de deuil prolongé après un décès violent.

• Prévalence de 1,51 % (CIM 11) et 1,2 % (DSM-5 TR).

 

Des données scientifiques soutiennent-elles son existence ?

Les études récentes mettent en lumière l’influence des facteurs organisationnels sur le risque de traumatisme vicariant, dépassant la simple considération antérieure des facteurs individuels tels que les antécédents personnels de traumatisme ou encore le niveau d’empathie du professionnel . Ainsi, certains auteurs soulignent que les organisations ont un rôle prépondérant à jouer dans la prévention et la gestion du bien être des travailleurs, notamment à travers la qualité de la supervision et des politiques de soutien.

D’autres chercheurs, spécialistes du sujet, tels que Boelen et ses collaborateurs, indiquaient en 2020, quelques années avant l’introduction du trouble, que celle-ci faciliterait l’identification des individus endeuillés nécessitant une aide, ainsi que la mise en place et le remboursement de soins adaptés. En écho à d’autres troubles de santé mentale, ils admettent néanmoins que les individus diagnostiqués avec un TDP n’échapperont pas au risque de stigmatisation. Cependant, ils soutiennent que les bénéfices de cette avancée équilibreront les éventuels inconvénients, contribuant ainsi à une meilleure prise en charge de ces patients.

En 2009, une étude menée par des chercheurs de l’université de Yale (Etats-Unis) a permis de déterminer la validité psychométrique de critères de diagnostic du TDP. Les chercheurs ont alors réuni une équipe multidisciplinaire d’experts en psychiatrie, des spécialistes du deuil et en nosologie afin de parvenir à un consensus sur les critères cliniques diagnostiques du TDP. L’étude a utilisé des données provenant d’une cohorte de 317 personnes récemment veuves résidant dans le Connecticut aux Etats-Unis. Chaque participant a été interrogé en début d’étude, en moyenne 6 mois après la perte du conjoint.

Des entretiens de suivi ont été ensuite conduits 11 mois puis 20 mois après la perte et les symptômes ont été évalués au moyen d’une version modifiée de l’inventaire du deuil compliqué. Après avoir écarté les symptômes qui étaient le moins pertinents pour apporter des informations utiles et significatives pour le diagnostic et la prise en charge du trouble, les chercheurs ont déterminé ceux étant le plus révélateur du trouble mais également les combinaisons optimales de symptômes permettant de poser un diagnostic précis de TDP. De nombreuses autres études internationales viennent confirmer les preuves scientifiques soutenant l’existence du trouble de deuil prolongé.

À ne pas confondre avec « l’effet de veuvage »

La perte d’une figure d’attachement, peu importe la cause, entraînerait pour la personne endeuillée un risque accru de morbidité et de mortalité. Une étude de 2015 a révélé que l’effet de veuvage débuterait avant la perte du conjoint29. Autrement dit, certaines expériences antérieures contribueraient déjà à impacter la santé des futures veuves et veufs.

En cause ? Les futurs endeuillées ont tendance à négliger leur propre bien-être durant l’année qui précède la perte de leur proche, ce qui se manifeste notamment par une diminution de la prise de leurs médicaments prescrits. Une autre piste explicative tiendrait à la charge qui incombe à l’accompagnement du malade, source elle-même d’effets néfastes sur la santé.

 

Comment est identifié le trouble de deuil prolongé ?

Pour poser un diagnostic de trouble de deuil prolongé d’après le DSM-5 TR, une période d’observation d’au moins 6 mois est nécessaire chez les adolescents et les enfants contre 12 mois pour les adultes alors que dans la CIM-11, la réaction de deuil doit persister pendant au moins 6 mois, toute catégorie d’âge confondus (Critère A). Les deux classifications reconnaissent toutes les deux que pour un diagnostic de TDP, la perturbation doit entrainer une altération du fonctionnement dans différentes sphères, professionnelle, sociale, éducative… (Critère D) et pendant un temps anormalement long, dépassant les normes sociales, culturelles ou religieuse attendues par la culture et le contexte dans lesquels l’individu se trouve (Critère E). Néanmoins, à la différence de la CIM-11, le DSM-5 TR précise que pour diagnostiquer le TDP, les symptômes ne doivent pas être mieux expliquer par un trouble dépressif majeur, un trouble de stress post-traumatique, un autre trouble mental, ni attribuables aux effets d’une substance (F).

En outre, il est crucial que les professionnels de santé restent vigilants face aux personnes présentant un risque accru de développer un TDP, comme celles ayant des antécédents psychiatriques. Il est également important de souligner qu’au-delà des complications spécifiques directement liées au processus de deuil, comme le trouble de deuil prolongé, d’autres types de complications peuvent également survenir. Ces dernières, qualifiées de non spécifiques, parce qu’elles ne sont pas exclusives au deuil, incluent par exemple, la dépression caractérisée, TSPT les troubles anxieux, et les troubles des conduites.

Face aux nombreuses appellations passées, la notion de « trouble de deuil prolongé » a été retenu afin d’appuyer la durée des symptômes comme l’une de ses caractéristiques principales mais aussi pour éviter de le confondre avec l’état de stress post-traumatique avec lequel il partage certaines caractéristiques.

En quoi le trouble de deuil prolongé se distingue-t-il d’une dépression ?

Bien que le deuil et un épisode dépressif majeur puissent coexister fréquemment et qu’ils présentent des similitudes dans leur symptomatologie (perte d’intérêt, culpabilité, idées suicidaires etc.,), ils seraient distincts sur différents plans : biologique, pharmacologique et clinique, En effets, les symptômes tels que le chagrin et les pensées omniprésentes à l’égard du défunt ne sont pas présents dans l’état dépressif majeur lequel comprend des symptômes neurovégétatif et psychomoteurs caractéristiques. De surcroit, les antidépresseurs, largement employés contre la dépression, n’amélioreraient pas les symptômes de deuil prolongé et des données neurobiologiques, bien qu’encore limitées à l’heure actuelle, suggèrent des caractéristiques bien particulières pour le TDP (circuit de la récompense, taux sanguin d’ocytocine, activité cérébrale…).

L’importance de distinguer le TDP du TSPT

Historiquement le deuil et le trauma étaient fréquemment étudiés ensemble. C’est-à-dire que la réaction liée au deuil et la réaction en lien avec le trouble du stress post-traumatique étaient vues pendant longtemps comme une sorte de continuum explique le psychiatre Eric Bui, spécialiste international du deuil.

Aujourd’hui, le TDP et le TSPT sont reconnus comme deux troubles distincts et nécessitent des traitements différents. Le TDP est spécifiquement lié à la réaction à la perte d’un être cher, tandis que le TSPT peut découler de divers événements traumatiques et se caractérise par une réaction marquée par la peur et l’évitement. Toutefois, une association entre TDP et le trouble de stress post-traumatique est possible dans certains contextes. Cette association peut survenir, par exemple, lorsqu’un individu est confronté à la Vidéo replay du webinaire sur le trouble de deuil prolongé du 29 juin 2023 par le Pr Eric Bui découverte soudaine du corps d’un proche, décédé ou gravement blessé, ou lorsqu’il assiste à sa mort violente. Dans ces situations, une prise en charge clinique complexe est souvent nécessaire pour traiter conjointement ces deux troubles.

→ Vidéo replay du webinaire sur le trouble de deuil prolongé du 29 juin 2023 par le Pr Eric Bui

Quels outils d’évaluation existe-t-il ?

Dans le domaine de la psychopathologie du deuil, plusieurs outils de dépistage et d’évaluation ont été élaborés au fil des années pour identifier et mesurer les signes de deuil compliqué et plus récemment les symptômes du trouble de deuil prolongé.

Un outil culturellement sensible

La perte d’une figure d’attachement, peu importe la cause, entraînerait pour la personne endeuillée un risque accru de morbidité et de mortalité. Une étude de 2015 a révélé que l’effet de veuvage débuterait avant la perte du conjoint. Autrement dit, certaines expériences antérieures contribueraient déjà à impacter la santé des futures veuves et veufs.

En cause ? Les futurs endeuillées ont tendance à négliger leur propre bien-être durant l’année qui précède la perte de leur proche, ce qui se manifeste notamment par une diminution de la prise de leurs médicaments prescrits. Une autre piste explicative tiendrait à la charge qui incombe à l’accompagnement du malade, source elle-même d’effets néfastes sur la santé.

 

Des outils majoritairement développés pour les adultes

Dès les années 90, des efforts ont été déployés pour développer des instruments psychométriques afin de mesurer la détresse symptomatique associée au deuil chez les adultes. Encore aujourd’hui, l’un des outils les plus utilisé est l’inventaire de deuil compliqué. Publié en 1995, cet outil à bénéficier de plusieurs révisions au cours du temps pour finalement évoluer vers le Prolonged-Grief-13 en 2009. Depuis l’avènement du TDP dans les récentes classifications, des outils plus récents et conformes à sa nouvelle définition ont émergé :

The Prolonged Grief-13, PG-13-Revised (2021)

Initialement publiée en 2009, cette échelle d’auto-évaluation a récemment été révisée pour correspondre de plus près aux nouveaux critères du DSM-5 TR, mais à ce jour, aucune validation ni adaptation française n’a encore été réalisée. Bien que sa révision récente révèle de bonnes propriétés psychométriques auprès d’échantillons occidentaux, des recherches supplémentaires sont souhaitées pour confirmer ses performances sur des populations plus diversifiées sur le plan ethnique.

The Traumatic Grief Inventory-Self Report Plus, TGI-SR+ (2022)

Disponible en langue franco-canadienne, cette échelle est à l’heure actuelle, le seul instrument robuste à proposer une évaluation des symptômes du trouble de deuil prolongé selon les critères, et du DSM-5 TR et de la CIM-1139. De plus, en 2022, une étude est venue confirmer son utilisation possible en recherche comme en clinique auprès des populations françaises endeuillées.

La nécessité de développer un outil d’entretien pour le diagnostic du TDP

The En clinique comme en recherche, il est bien souvent nécessaire d’approfondir une évaluation pour obtenir des informations plus nuancées et détaillées sur l’expérience de deuil des individus. Bien que les échelles d’auto-évaluation soient pratiques, elles ne sont pas suffisantes. Celles-ci ont une concordance modeste avec les entretiens cliniques structurés et ont également tendance à augmenter l’incidence d’un trouble.

The Traumatic Grief Inventory-Clinician Administered, TGI-CA. (2023)

Ce nouvel outil d’entretien (hétéro-administré), f iable et valide, permet de dépister les symptômes de TDP et d’en évaluer la sévérité en conformité avec les critères diagnostiques du DSM-5 TR et de la CIM-11 Néanmoins, le TGI-CA ne se substitue pas aux outils d’entretiens cliniques diagnostiques, aujourd’hui encore inexistants pour le TDP et ne dispose à l’heure actuelle, d’aucune version en langue française.

Un manque d’outils validés pour les enfants et les adolescents

Du côté des enfants et des adolescents, la réalité est un peu différente. Des instruments spécifiques ont également été développés, mais ils n’ont reçu que peu d’analyses psychométriques. Pour cette raison, Toni Zhang et ses collaborateurs (2023) ont réalisé une revue de la littérature des outils d’évaluation existants pour évaluer le deuil chez les enfants et les adolescents.

Parmi les 24 instruments identifiés, 4 sont recensés comme évaluant le deuil prolongé chez l’enfant comme chez l’adolescent : IPG-A (2012), IPG-C (2012), PGQ-A (2016) et PG-13 Child (2021). Malheureusement, la plupart des outils identifiés par les chercheurs présentent une validité encore limitée. Des études supplémentaires sont donc souhaitées pour valider de nouveaux instruments adaptés à ces populations.

Quelles sont les perspectives de recherche ?

→ Question au Pr Eric Bui, professeur de psychiatrie à l’Université de Caen – CHU de Caen et responsable du centre régional du psychotraumatisme Normandie

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